Patrice Krzyzaniak, primé pour sa thèse sur le travail du psychiatre désaliéniste Georges Daumézon

Entré au Centre de soins et d'hygiène mentale Ulysse Trélat en 1977, Patrice Krzyzaniak a effectué une carrière atypique et riche dans le domaine de la psychiatrie. Il a vécu plusieurs vies professionnelles en une vie : d’homme de ménage à docteur, en passant par étudiant, infirmier, cadre de santé, cadre supérieur de santé, il fut aussi enseignant en IFSI et IFCS. Les différentes fonctions qu’il a exercée à Ulysse Trélat puis à l’EPSM de l’agglomération lilloise, l’ont amené à participer à l'évolution de la psychiatrie et en particulier à la mise en place des prises en charge soignantes dites de secteur, s'effectuant en dehors des murs de l'hôpital. Il a consacré les dernières années de sa carrière à assurer la responsabilité pédagogique de l'IFCS Georges Daumézon, et parallèlement il a suivi des études doctorales en Sciences de l'Education. Sa thèse soutenue en décembre 2017 a justement porté sur le psychiatre désaliéniste célèbre, le docteur Georges Daumézon, dont il s'est attaché à mettre en évidence, dans le contexte de la psychothérapie institutionnelle, la dimension novatrice de l'œuvre pédagogique. Cette thèse a été primée en 2017 par l'école doctorale SHS de Lille. Aujourd’hui, retraité de la fonction publique hospitalière, il est chargé de cours à l’Université Lille 3, en particulier dans le domaine des Sciences de l’Education.

La semaine dernière, il a pris le temps de nous rencontrer et de nous transmettre un résumé de sa thèse : « Georges Daumézon (1912-1979). Un camisard psychiatre et pédagogue. Une contribution singulière aux sciences de l'éducation ». Sa thèse, qui deviendra bientôt un livre, a pour sujet le travail toujours actuel du docteur Georges Daumézon : « le psychiatre qui s'est sans doute le plus préoccupé de la condition infirmière, il était normal qu'à son tour, un jour, un infirmier en fasse de même pour lui », précise Patrice Krzyzaniak.

« Georges Daumézon. Un camisard psychiatre et pédagogue. Une contribution singulière aux sciences de l'éducation

Cette thèse a postulé que l’étude de l’œuvre du psychiatre, Georges Daumézon, permettrait d’en révéler les aspects singuliers en matière d’éducation. Car ils contribuèrent puissamment à transformer l’histoire de la psychiatrie française. Mais avant de travailler sur l’œuvre de Georges Daumézon en elle-même, il convenait ici rapidement de le présenter.

Ce fut un homme brillant et érudit qui sera médecin et juriste à 23 ans, et médecin-directeur à 26. Plusieurs fois primé pendant ses études, il concilia par la suite constamment différentes responsabilités et activités soignantes, bien souvent très novatrices. Il fut aussi un chercheur, un enseignant et le rédacteur de plus de 300 articles, ainsi que le créateur de la revue « Vie Sociale et Traitement ». Chantre de la psychothérapie institutionnelle, qu’il porta sur les fonts baptismaux, et responsable syndical engagé, il contribua également à des modifications majeures de la psychiatrie française, dont particulièrement la mise en place de la sectorisation. Rapidement Georges Daumézon envisagea qu’il pouvait y avoir à l’asile, un lien direct entre l’existence de relations sociales, devenues nocives et pathogènes, et la mobilisation d’une pédagogie « du conditionnement total ». Cela le conduisit, dans un contexte général de désaliénation qui succéda à la Seconde Guerre mondiale, à vouloir traiter l’hôpital pour prémunir le malade des effets pervers et aliénants de son hospitalisation qui, sans le soigner, ajoutait à sa détresse psychique.  Il mobilisa pour cela des approches soignantes nouvelles où l’éducation (notamment dans sa fonction de socialisation), ainsi que la pédagogie et la formation (conçues comme actives) seront potentiellement considérées, par lui, comme émancipatrices car transformatrices des relations sociales réciproques entre les personnes, soignées ou soignantes. Dans les différents projets qu’il mit en place (travaux à façon, artistiques, agricoles, activités sportives, journal, imprimerie…), il réfutera la banalisation de l’activité, considérée du seul point de vue d’une production, en privilégiant la situation de travail, à sa seule effectuation, car toute tâche devait être porteuse de sens, individuellement et collectivement. C’est en éduquant à la compréhension de ce sens, et en développant une véritable clinique de l’activité, que l’on pouvait selon lui aborder les attitudes psychothérapiques. Il considèrera enfin de façon singulière que les savoirs nécessaires aux soins et à la formation des infirmier(e)s psychiatriques, différents des savoirs médicaux dominants, devaient s’élaborer dans les pratiques quotidiennes du « faire-partagé » comme le disait Lucien Bonnafé. Cette prise de position, considérée par certains de ses collègues comme subversive, le marginalisera ce qui l’affectera profondément. L’intention de cette thèse, était donc, au final, d’élaborer un ensemble matriciel réflexif, dans un champ qui avait été très peu investigué de ce point de vue. Elle s’était aussi proposée de mettre en évidence la pertinence, toujours actuelle, de l’œuvre originale de Georges Daumézon en matière d’éducation, ainsi que de l’utilité qu’il y avait à redécouvrir et à faire reconnaître, en dehors de ses qualités de soignant, celles du pédagogue pragmatique et engagé qu’il fut également.

 

/sites/default/files/styles/en_tete/public/2018-08/bandeau_alter-ego_1.jpg?itok=t-uaNdX_