Philippe Croizon - AE #22
Philippe Croizon, né en 1968 à Châtellerault, est un athlète français, le premier amputé des quatre membres à avoir traversé la Manche à la nage, le 18 septembre 2010. Il partage avec Alter ego sa soif de vivre… Une extraordinaire leçon d’humanité.
Vous avez traversé la Manche puis relié les cinq continents à la nage ! Racontez-nous cette belle expérience en quelques mots…
Après la traversée de la Manche, je ne voulais pas me séparer de mon équipe parce qu’on avait construit une aventure extraordinaire. Je suis parti dans la folie de me dire qu’on allait relier les 5 continents à la nage, un nageur valide et un nageur handicapé, tous les deux. Je voulais montrer qu’il n’y a pas de différence, malgré les différences de religions, politiques, couleurs de peau, etc. On vit tous sur une planète et si nous avons été capable de relier les 5 continents, c’est que nous ne sommes pas si loin les uns des autres. On a relié l’Océanie à l’Asie via l'Océan Pacifique, l’Afrique à l’Asie via la Mer Rouge, l’Europe à l’Afrique via le détroit de Gibraltar, l’Amérique à l’Asie via le détroit de Béring.
Comment avez vous réussi à affronter mentalement comme physiquement ces épreuves ?
Se préparer mentalement c’est aussi se préparer physiquement. J’ai contacté des militaires, la base navale de Toulon. On s’est entraîné avec les plongeurs et on s’est préparé à nager en eau froide mais aussi en eau chaude. J’ai également fait de la sophrologie pour me préparer mentalement, ne pas pleurer, ne pas craquer, pour garder toute son énergie.
Qu'est-ce qui a été le plus difficile au cours de ces exploits sportifs ?
C’était dans l’eau très froide entre 0 et 2 degrés du détroit de Béring, même si c’était une nage assez courte qui a duré 1h26. On a relié la l’Amérique à l’Asie, c’était très difficile, j’étais en hypothermie sévère en sortant de l’eau.
Que représente pour vous le dépassement de soi ?
J’ai appris ce qu’était le dépassement de soi lorsque j’étais en rééducation où je suis resté environs 18 mois quand j’ai eu mon accident. J’ai appris ce qu’était le dépassement de soi, aller au delà de ce que l’on est capable de faire quand on est amputé des 4 membres et qu’on peut reconstruire une vie, réapprendre à marcher, reconduire un véhicule, manger seul, se brosser les dents seul, etc. Tout ça, c’est du dépassement de soi, des victoires incroyables.
Lorsque je me suis lancé dans le sport 14 ans plus tard, à l’âge de 40 ans, j’ai connu le même phénomène. Aujourd’hui, je fais le parallèle entre le sportif de haut niveau qui se bat pour gagner son dernier 30e de seconde pendant 4 ans, et la personne qui, dans l’univers médical, se bat pour mettre sa paire de chaussettes seul ou se brosser les dents seul. C’est exactement le même parcours !
Pensez-vous que vos expériences ont eu un impact sur le handicap et ses représentations ?
Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que je mène ma vie, mon aventure, mon parcours de vie, après je sais que beaucoup de personnes s’y reconnaissent et se disent « si lui il a réussi l’aventure, peut-être que je peux en réussir une même si elle n’est pas aussi folle que la sienne ». Mais le fait d’être au centre de rééducation et de se reconstruire, c’est déjà une aventure !
Si je peux leur montrer la voie en disant que c’est jouable et bien dans ces cas là, je veux bien être un exemple !
Que souhaiteriez-vous dire aux gens qui souffrent physiquement comme psychiquement ?
Qu’il y a un temps pour tout, un temps pour pleurer, pour prier, pour hurler, et un temps pour revenir. Vous savez, quand on rentre dans l’univers du handicap, on franchit 5 phases obligatoires. Il y a la phase de négation, la phase de négociation : on négocie avec soi-même entre la vie et la mort, les fameux « pourquoi ? » nous tourmentent, la phase de deuil et d’acceptation puis enfin la phase de colère.
J’ai eu la chance de franchir toutes ces phases car ma famille et mes amis m’ont toujours soutenu et c’était super important. Mais c’est vrai qu’on peut rencontrer des personnes handicapées qui peuvent rester bloquées sur la phase de négation toute leur vie parce qu’elles n’auraient pas eu ce soutien de leur famille. Ou bien, elles peuvent rester bloquées sur la phase de colère parce qu’elles n’ont pas accepté leur nouveau schéma corporel ou accepté leur nouvelle façon de vivre avec leur handicap.
Le message que j’ai envie de délivrer, c’est que c’est possible ! Il faut arrêter de pleurer, et d’attendre que les gens fassent pour vous. Mettez-vous en action, allez vers les autres et n’attendez pas que les autres viennent vers vous car vous allez attendre longtemps.
Comment vivez-vous cette notoriété ?
Je la vis bien. J’ai ma vie de famille, et même si c’est un peu compliqué de sortir parce-que les gens vous reconnaissent et ont envie de faire des photos, de vous parler, ça fait partie du jeu.
Aujourd’hui, le fait d’avoir une chronique du magazine de la santé sur France 5, ça me permet de communiquer sur le handicap de façon positive. On peut rire avec le handicap, faire plein de choses… C’est vraiment le message que je veux délivrer donc tant mieux si j’ai de la notoriété.