Eric Kieffer, témoignage d'un usager

Bonjour, je suis Eric. J’ai 38 ans et souffre de schizophrénie depuis la fin de mon adolescence. J’ai un parcours en psychiatrie long d’une quinzaine d’années. Je viens pour vous parler de mon expérience de l’éducation thérapeutique du patient non pas en tant qu’usager mais en tant que participant à une réflexion sur ce sujet.

C’est lors d’une conférence à laquelle je participais en tant que témoin que l’on m’a interpellé. Mon objectif principal à cette époque était de lutter contre la stigmatisation de maladie psychique.

Je voulais aussi m’investir pour venir en aide aux personnes qui comme moi connaissent ou ont connu des douleurs et des troubles psychiques mais ne savais pas comment faire ? Le docteur Trinh m’a alors convié à un groupe de travail sur l’éducation thérapeutique du patient. C’est à cet instant que j’ai compris que mon expérience de la maladie pouvait être utile aux autres.

En effet depuis quelques années et j’en suis le témoin une nouvelle philosophie de soins émerge. Elle permet à nous patient d’être consulté sur des nouvelles thérapies comme l’ETP. Evidemment qui connaît le mieux nos souffrances et nos difficultés que nous les personnes concernées ?

Ces nouveaux mouvements prônent aussi l’inclusion des patients dans leurs propres soins, il est donc indispensable de commencer par connaître sa pathologie et ces soins qu’ils soient pharmaceutiques ou non. Mais tout cela passe par un apprentissage.

Mon objectif en intégrant ce groupe de travail sur l’ETP était de construire des passerelles de compréhension entre les professionnels de santé et les usagers.

J’ai moi aussi une expérience d’éducation thérapeutique qui m’a apporté énormément.

Intervention d'Eric Kieffer lors d'un atelier mené lors du colloque sur l'ETP à Saint-André

L’expérience de l’ETP de Monsieur KIEFFER

Il faut comprendre que le patient qui arrive souvent lors de sa première crise doit rentrer dans un univers complètement inconnu pour lui. C’est alors un apprentissage de nouveaux codes, d’un nouveau langage alors qu’il n’est pas en condition pour les assimiler à cet instant-là.

Selon mon expérience, l’ETP ne m’a pas été forcement proposé en début de parcours de soins. Il m’a fallu attendre quelques semaines, voire quelques mois avant que l’on me le propose, en même temps je ne suis pas sûr que j’étais en capacité d’apprendre.

Puis j’ai été invité à un atelier d’ETP qui m’a donné des clés de compréhension du milieu psychiatrique. Celles-ci m’ont fait progresser plus rapidement.

Un des points les plus importants pour moi par rapport à ces ateliers était d’acquérir le vocabulaire nécessaire pour comprendre les soignants et aussi pour expliquer mes souffrances d’une façon plus claire pour eux.

Cela ne parait rien mais le fait d’avoir les mêmes codes que mon interlocuteur me parait un point capitale pour ma relation soignants/soignés.

Un autre point les plus aidant dans mon parcours a été connaître ma pathologie surtout quand sa chronicité a été confirmée. Savoir pourquoi j’étais en souffrance a été un avantage considérable pour lutter contre la maladie. Il m’a été donc très vite indispensable de connaître les principaux symptômes de ma schizophrénie pour évaluer et prendre conscience de son impact sur mes pensées et mes comportements mais aussi voir mes progrès.

L’ETP m’a aussi enseigné aussi le rôle de chacun de mes médicaments des neuroleptiques aux anxiolytiques. Il me semble indispensable aujourd’hui de savoir pour quels symptômes je prends telle pilule. Ces connaissances me donnent la possibilité de Co construire mon traitement avec mon médecin psychiatre. A la réflexion qui peut savoir mieux que moi-même ce dont j’ai besoin.

Ceci m’a aussi beaucoup aidé dans l’acceptation des effets secondaires de mes médicaments. En effet les traitements antipsychotiques restent très lourds de conséquence sur la vie quotidienne malgré une nouvelle génération apparue, il y a une quinzaine d’années. L’ETP permet de connaître ces contraintes et justement d’en parler, il faut dire que parfois des solutions simples existent pour y remédier.

Finalement cette éducation est pour moi, une véritable prise de conscience de ma pathologie et de ses symptômes. Elle me donne aussi la possibilité de participer et d’orienter mon parcours de soins. Cette nouvelle vision de ma prise en charge me permet de reprendre la main sur mon quotidien mais aussi sur mon futur de patient en psychiatrie. C’est exactement ce que j’appelle mon empowerment qui est le socle de mon rétablissement. C’est pour cela que j’ai de grandes attentes sur le principe de mon éducation thérapeutique.

Les attentes de Monsieur KIEFFER en tant que patient par rapport à l’ETP

  • Comprendre un maximum de théorie sur la pathologie

Dans mes limites, j’essaie toujours d’avoir et d’accumuler un maximum de connaissances sur ma pathologie même encore aujourd’hui alors que j’estime avoir une certaine maturité sur ce sujet. Mon objectif est de comprendre le plus possible le sens de mes soins et d’établir une relation collaborative avec les soignants. Chaque prescription devrait non pas être négociée ni imposée mais comprise par nous les patients. Même si cela peut être plus ou moins compliqué par rapport au capacité du malade, une relation équilibrée entre patients et soignants est plus saine pour moi. Une autorité médicale qui impose les thérapies n’est ni bonne pour l’acceptation ni pertinente en terme psychologique car elle est vécue comme une réelle violence. Je pense que le corps médical en a pris conscience en créant l’ETP et en laissant au patient sa place en tant qu’acteur de ses propres soins.

Je cherche à me tenir au courant des avancées thérapeutiques et n’hésite pas à demander quand un nouveau soin me parait pertinent pour ma schizophrénie. Même si, j’ai un certain espoir qu’il y aura de nouvelles molécules plus simples à tolérer. L’ETP me permet d’être en accord avec mon traitement et de gérer au mieux ses effets secondaires.

  • Savoir pourquoi prendre tel ou tel traitement (acceptation plus facile des effets secondaires)

Mon objectif en participant aux ateliers était d’affiner mon savoir au point de comprendre pourquoi je prends telle ou telle molécule de neuroleptique. Je ne vous cacherai pas que je n’ai pas atteint mon but et cela nuit à l’adhésion de mon traitement. Si je devais prendre un traitement plus lourd que celui que prend actuellement j’espère qu’il sera expliqué même s’il répond à un besoin urgent et que je ne suis pas apte à le comprendre à l’instant précis. Sachant que des réponses évasives ne me souffriront plus. C’est dans ce courant de pensées que j’essaie d’avancer, je sais par contre qu’il y a un espace entre mes attentes de l’ETP et les réalités du terrain. C’est justement pour cela qu’au groupe de travail, un mes objectifs était de mettre en évidence les difficultés et les freins de ce type d‘atelier pour les patients.

Les difficultés et freins de ce type de groupe

  • Cognition du patient

Un des freins majeurs est les conditions cognitives froides et sociales des patients. En effet, la pathologie et le traitement affaiblissent nos capacités d’apprentissage tant en terme de concentration qu’en terme de mémorisation. Retenir et comprendre l’intégralité d’une séance est extrêmement difficile. Cela peut conduire à un décrochage sur le reste des séances et devenir laborieux et non bénéfique pour la personne concernée. La fatigabilité du groupe est aussi à prendre en compte pour un meilleur apprentissage.

Il faut aussi noter que l’ETP est en partie un groupe de parole ou autrement dit un atelier participatif des fonctions cognitives sociales très impactées pourraient créer un mal être du patient concerné par ses difficultés et devenir un vrai supplice pour lui.

Si pour chacun, il y a des difficultés cognitives différentes. Il y a aussi des différences majeures entre patient par rapport à leurs vécus, leurs symptômes et leurs traitements.

  • Non homogénéité des symptômes et des traitements

Les soins psychiatriques sont des thérapies que j’appelle sur mesures. La difficulté de ce genre d’atelier est qu’il regroupe des pathologies qui sont très différentes d’un individu à l’autre même si leur maladie porte le même nom. Il est très difficile pour le patient de discerner ce qui le concerne ou non dans un apprentissage assez étoffé.

Les maladies psychiques ont des formes multiples et leurs symptômes aussi. Il n’est pas forcement aisé de savoir par quoi l’on est concerné directement. L’idéal serait de passer du temps avec chaque patient pour l’aider dans son apprentissage ou de créer des groupes le plus homogènes possibles à la fois en termes de pathologie et de traitement. Ceci est malheureusement impossible par manque de temps et de moyens. C’est alors aux patients de savoir se saisir des connaissances utiles ou non pour lui.

Le dernier frein que j’évoquerai est sur les facultés de compréhension des participants.

  • Différentes capacités de compréhensions

Les pathologies psychiques touchent tous les niveaux d’instruction. Il y a une grande disparité dans les groupes d’ETP. La difficulté majeure n’est pas la cohésion des groupes mais la différence de la capacité de compréhension et d’assimilation des enseignements. Il faut prendre alors en compte l’ennui de certain plus rapide et la frustration des autres les plus lents.

La difficulté est alors de ne pas susciter de désintérêt de l’une ou l’autre partie et de ne pas avoir des patients qui décrochent par un manque de simulation ou de soutien.

C’est en prenant ces facteurs en compte que nous réfléchissons dans le groupe de travail à l’adaptation des ateliers d’ETP pour faciliter les apprentissages.

Des solutions pour faciliter l’apprentissage

  • Des outils accessibles à tous les patients

Pour cela nous devons garder à l’esprit que les outils proposés doivent être accessibles à tous les types de patients à n’importe quel niveau d’instruction et à n’importe quel niveau d’un handicap psychique surtout du point de vue cognitif. Les mots et différentes expressions doivent être clairs et simples. Le langage médical ne devrait être utilisé uniquement s’il a été expliqué et compris de tous. L’utilisation par exemple des abréviations peut être une forte source d’incompréhension.

Je pense qu’il est important de se mettre à la place de personnes qui n’ont pas connaissance ni de compétence médicale. Il faut se souvenir que vous aussi soignants avez appris ce parlé et que cela prend du temps, nécessite des efforts et de la pédagogie.

C’est pour cela aussi qu’il peut être utile de demander les avis à d’anciens patients dans la construction des séances et de les faire intervenir dans les groupes.

  • Consultation de patients « vétérans »

La consultation de ce que j’appelle les patients vétérans a certains obstacles comme leur transport ou le fait de prendre la parole dans un milieu inconnu ou avec de nouvelles personnes.

En revanche, je dirai que même le savoir théorique et expérientiel est une grande ressource pour à la fois les équipes de soins mais aussi pour les patients.

Il y a pour moi une légitimité évidente de parler de souffrance lorsque l’on les a vécues. Les nouvelles fonctions de pair - aidance en psychiatrie sont une évolution considérable dans la prise en charge. Un ancien patient connaît des stratégies qu’il a apprises ou créées et sais quand et comment tels ou tels soins peut être efficaces. L’invitation dans les groupes de préparation des séances et pendant les séances me semble judicieuse.

Il faut à mon sens écouter les retours d’expérience des anciens participants pour faire progresser la pédagogie et le contenu des ateliers. Pourquoi ne pas faire un questionnaire de satisfaction ou d’évaluation de compréhension?

  • Constitution des groupes de patients par leur capacité à comprendre et par rapport à leur pathologie

Pour l’avoir vécu, les différents niveaux d’implication et de compréhension sont une difficulté dans ces ateliers, certains patients peuvent s’ennuyer et décrocher en attention, au contraire d’autres peuvent abandonner par incompréhension et rester spectateur. L’ETP devrait prendre davantage en compte ces paramètres à leur constitution des groupes. Je suis conscient qu’il est très difficile de réaliser cet objectif par le manque de moyen et de personnel, les regroupements de patients ne peuvent pas être malheureusement homogènes. En revanche, il me semble important que les soins soient au maximum personnalisés. Il pourrait être intéressant d’avoir au moins un entretien individuel au cours des séances avec chacun des participants pour évaluer ses nouvelles compétences et savoir où en est sa motivation pour encourager les personnes qui décrochent.

Mais les difficultés d’acquisition et de concentration ne sont pas les seuls obstacles à cette éducation thérapeutique. Chez les patients en psychiatrie les fonctions froides sont souvent impactées. La mémoire est un des principaux freins à l’apprentissage.

  • Laisser les traces des ateliers

Pour cela, il faut faire preuve, je le pense de pédagogie. Il est important de favoriser la prise de notes pour que le participant puisse retourner à ses écrits à n’importe quels moments. Je pense que certaines notions de l’ETP doivent se distiller en plusieurs séances et que si le patient manque ou ne se souvient pas d’une étape, celui-ci pourrait se trouver en grande difficulté.

Un second point est que les programmes des séances d’ETP sont généralistes donc le patient n’est pas forcement concerné par toutes les informations explicitées. La prise de notes devrait permettre la sélection de celles-ci de façon personnalisée et organisée. Il serait pour moi donc important de créer des documents de suivi et que les soignants aident la prise de notes des participants.

Une autre solution est aussi donner des documents aux participants, je sais par expériences que ces derniers devront être adaptés.

  • Des documents au maximum synthétiques

Des troubles comme celui de la concentration ne facilitent pas l’apprentissage : les documents doivent alors être simplifiés tout en conservant les informations importantes. Ce qui m’a le plus aidé lors de parcours d’apprentissage sont les documents avec par exemple des schémas, des tableaux et des mots clés mis en évidence. Pour mon cas, ma mémoire s’est fixée de façon visuelle et non auditive. Les informations visuelles m’ont permis d’assimiler les connaissances nécessaires après une longue observation, les informations orales doivent elles comprises et assimilées instantanément

Cependant, je me suis facilement découragé quand le document était trop volumineux ou comporter une trop d’informations par manque de concentration et aussi de persévérance. Je pense aussi qu’il faut prendre en compte la fatigabilité mentale du lecteur tant au niveau de la concentration qu’au niveau des ruptures attentionnelles.

C’est avec ces différents points que j’espère avoir aidé le groupe de travail auquel on m’a convié. Pour parler de mon ressenti, il est très positif.

  • L’écoute et la prise en compte de mes suggestions

Dès le début de ma première participation aux ateliers, j’ai ressenti une réelle volonté d’écouter mes expériences des soins psychiatriques avec mon prisme et sans jugement de la part du groupe de travail.

J’ai pu au fur et à mesure des ateliers exprimer mes opinions sur les prises en charge en ETP. Mes différentes suggestions, pour être tout à fait transparent, n’ont pas toutes étés retenues car elles se confortaient à une réalité sur les moyens ou l’organisation du monde de la psychiatrie. Cependant leurs impossibilités n’ont été expliquées

Ces discutions ont été très enrichissantes pour moi et j’estime avoir appris beaucoup de chose des différents participants.

  • Un travail en coopération

En effet, le groupe de travail est constitué de différentes professions des soins et accompagnements des troubles psychiatriques. Chacun a pu alors exprimer sa vision selon son propre prisme. Ces échanges m’ont permis mieux appréhender les différents métiers de la psychiatrique et des contraintes de chacun. J’estime cela comme un privilège pour un patient et comprend mieux le fonctionnement de ce milieu.

  • La sensation d’avoir une expérience utile aux autres

Justement par rapport aux autres patients, j’ai l’espoir que mes interventions dans ce groupe ont pu les représenter en parlant de mes difficultés et de mon vécu.

Mon expérience des soins de la psychiatrie prend un sens réel et une utilité dans l’aide apportée aux autres usagers.

  • L’écoute des besoins des usagers par l’expérience

Ayant une expérience de ce genre d’atelier, j’ai essayé d’exprimer ce qui m’a manqué et ce que je pense améliorable dans la forme et le contenu durant les groupes de travail.

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