Adolf Wöfli - AE #03

Le LaM, Musée d’art moderne de Villeneuve d’Ascq, proposait dernièrement une exposition rétrospective exceptionnelle d’Adolf Wölfli, artiste interné à l’hôpital psychiatrique de la Waldau en 1895 à l’âge de 31 ans. Il y séjournera jusqu’à sa mort en 1930. Nous avons puisé avec l’aide de la conservatrice de l’exposition Savine Faupin, les éléments d’une interview poétique dans les quelques 25 000 pages d’une œuvre autofictive fascinante constituée de dessins, d’écrits et de musiques.

Qui êtes-vous ?
Algébrateur, naturaliste, poète, écrivain, dessinateur, compositeur, ouvrier agricole, trayeur, manœuvre, jardinier, plâtrier, cimentier, ouvrier à la gare, journalier, rémouleur, pêcheur, faneur, croque-mort, soldat du bataillon de l’Emmental, matelot, chasseur, portraitiste, malade de la Waldau, candidat à la mort, candidat à la maison de fou, dégoûté de la vie, vaurien, ma moindreur, St Adolf II, Wölfli, Doufi, St Adolf Grand*.

Vous avez réalisé une autofiction sur des cahiers composés de feuilles pliées à partir de papiers trouvés : des affiches, des papiers de nappes, d’emballages, de chemins de fer, des documents administratifs de l’hôpital. Avez-vous une idée de ce que cela représente en tout ?
35 livres ou 17 kilos et demi d’œuvres de valeur**

Impossible d’en détacher une pièce, donc pour vivre vous avez finalement accepté de vendre des portraits (« brotkunst »,  « art-pain ») pour 3 francs, afin d’acheter du matériel.
Manquer de crayon pèse lourd, Je ne peux plus concrétiser : Grogne alors un vieil ours dans la tour, Et tout se met à biaiser J’ai souvent le cœur lourd. On est presque gelé Mais je suis tout le temps comme Lui ;
eh bien : à multiplier.***

Il vous arrive aussi de réaliser des petits cahiers, comme celui que vous a commandé le peintre Fritz Baumann ?
Tout le contenu de ce petit livre reflète l’esprit, l’aspect et le caractère d’un aliéné, comme le titre du début le note clairement, mais au fond, c’est aussi une relation et une représentation fidèles. J’espère ainsi que l’aimable lecteur saura apprécier à sa juste valeur ces passe-temps exécutés dans ma cellule de l’asile d’aliénés****

Vous y évoquez poétiquement votre situation…
Depuis le 5 juin 1895, je me retrouve devant ma chérie d’autrefois terrifié, en tant qu’accident monté de toutes pièces, malade=mental dans cet asile=d’aliénés, avec le désir persistant : oh !! Si seulement le diable
venait bientôt me délivrer… Ce qui jadis fut bon et appliqué, Ici ne saurait subsister. Car chaque fou est un âne bâté qui doit maintenant som=brer. Les singes sont embarqués Là où soufflent brises et vents. Et s’il en est un qui est encore toqué Personne ne le comprend. C’est une marche à 16 temps.***

* il s’agit des signatures utilisées par Wölfli au fil des ans.
** Lettre du 7 avril 1912 adressée à l’imprimerie Wiss, Gurtengasse, in Adolf Wölfli, Berne, Fondation Wolfli et Musée des Beaux-arts, 1976, p 119
*** Texte et poème extrait du cahier pour Fritz Baumann, une acquisition du LaM, dans lequel la musique est totalement associée aux dessins, aux écrits, à la solmisation.
**** cité par Walter Morgenthaler dans Adolf Wölfli, Publications de la Compagnie de l’Art brut, Fascicule 2, Paris, 1964, p44.

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