Histoire d’un sans-abri, pour une clinique de la rue, Antoine Courtecuisse

Antoine Courtecuisse est psychiatre de secteur et responsable de l’Equipe Mobile Psychiatrie Précarité (EMPP) Interface à Boulogne-sur-Mer, il est également membre du comité de rédaction de la revue Institutions. Le 07 mars 2019 est paru son premier livre « Histoire d’un sans-abri », l’occasion de le rencontrer pour parler d’accueil, d’ouverture à l’autre et sensibiliser sur les missions des travailleurs sociaux.

Antoine Courtecuisse

AE : Comment est née votre envie d’écrire “Histoire d’un sans-abri”?  
Ce livre est un récit à propos d’un homme vivant à la rue. Au-delà de ce qu’il vit au quotidien et de la complexité de la souffrance exprimée, l’histoire s’attarde sur la relation que Claude va tisser avec une travailleuse sociale, Christine, au sein d’un accueil de jour où il passe quotidiennement. Il s’agit pour le lecteur d’entrevoir les difficultés d’entamer une relation avec quelqu’un de précaire, ayant des difficultés de lien au-delà des difficultés financières. Le récit travaille à cet aspect contre-transférentiel en se mettant autant dans la peau de Claude que dans les rôles et fonctions de la travailleuse sociale, des résistances éprouvées dans l’accompagnement et l’accueil à fournir. Il est question d’accueil, de rencontre, d’ouverture à l’autre trop souvent perçu comme étranger à notre nature. Le livre a donc pour visée de sensibiliser sur ces problématiques en restant positif, constructif et sans fatalisme dans ce champ clinique. Le lecteur pourra également se construire une opinion sur un débat politique actuel, celle du « chez soi d’abord ».

AE : Quel a été votre rituel d’écriture?
Nous écrivons beaucoup entre nous avec Antoine Devos, un pédopsychiatre, ami depuis nos premiers temps de formation, toutes les semaines depuis plus de cinq ans. Nous échangeons sur les pratiques, le politique, la clinique, l’institutionnel. À un moment donné, l’année dernière, j’ai eu envie d’utiliser cette pratique d’écriture pour me mettre à la place d’une personne et par là en développer les mots, une histoire, une narrativité́. Il me semble que cela est un moyen, comme l’analyse ou la supervision, de travailler l’aspect contre-transférentiel, nos barrières pour ainsi dire. Nous nous penchons beaucoup sur le transfert, et peu sur son corollaire. Il s’agit donc d’un travail personnel pris sur du temps personnel, dégagé des contingences professionnelles. Il n’existe pas de rituel d’écriture puisqu’il ne s’agit pas de mon métier. Au fond, c’est le plaisir et l’envie de plonger dans cette complexité qui décide à certains moments de s’y mettre.

AE : Votre quotidien dans l’EMPP et vos rencontres vous ont-ils inspirés ?   
Le texte se préoccupe surtout des préalables à la rencontre, le déroulé́ du travail effectif m’importait moins dans le sens où quand il y a une accroche, que la relation est en place, tout roule, enfin presque... en tout cas, ce qui nous préoccupe dans ce travail d’accompagnement en milieu précaire est bien de tisser ce premier lien, car il ne s’agit pas simplement d’« aller vers » comme le dicte le cahier des charges des EMPP (circulaire de 2005). Dans nos débuts, notre collectif s’est beaucoup questionné sur cette étape du soin psychique. Il me semble important d’en dire quelque chose, cela en développe une éthique de soin auprès de ces personnes. Ne pas brusquer, ne pas nuire pour ne pas rajouter de la souffrance, provenant des professionnels, à la souffrance personnelle de ces personnes.

AE : Souhaitiez-vous simplement écrire ou avez-vous voulu faire passer un message ?
Il n’y a aucun message car chacun est libre de penser ce qu’il veut sur ce sujet controversé très médiatique et politique. Cette attention me vient du fait qu’il faille être volontaire pour ce travail. Cela doit être un choix éclairé car de l’engagement il en faut. En arrière-plan je souhaitais aussi soutenir les travailleurs sociaux, les éducateurs, mes collègues infirmières. Il s’agit à ma manière de leur reconnaître ce travail invisible d’amorcer du lien avec ces personnes. Cela force mon respect, j’espère que d’autres rejoindront mon point de vue.

AE : Qu’éprouvez-vous à la sortie de votre livre ?
Ecrire m’amène à la joie d’être lu, de poursuivre mes lectures, de me motiver à poursuivre le travail collectif du comité de rédaction de la revue Institutions. C’est déjà énorme comme retour personnel. Ma petite satisfaction personnelle tient à ce que des personnes naïves du savoir éducatif, médical et psychologique s’y intéressent et accèdent à l’expression de la fragilité de notre travail. C’est certainement très intéressant pour notre avenir, la méconnaissance étant le pire des ennemis. Encore faut-il pouvoir se faire comprendre et trouver des mots simples. A ce titre, l’effort d’écriture a été de se dégager de termes médico-psychologiques.

AE : De futurs projets littéraires ?
Sur le même modèle d’écriture, je m’attache au récit d’une adolescente en crise.

 

EXTRAIT

Une heure après le départ de Claude, je pense encore à lui... même si sans lui, cela me parait stérile, il me questionne tout spécialement... et pourquoi ? Je ne sais pas. Peut-être le sentiment qu’il m’adresse sans le dire de l’aider. Il y a quelque chose dans son regard, le respect de mes fonctions, la façon dont il apprécie que je lui serve le café́ et la résignation de ses départs. Il me manque du temps pour le soutenir davantage. Cela fait deux mois qu’il vient : il s’est toujours présenté comme ça. Le premier contact avait occasionné un entretien dit d’« accueil », le seul problème est de trouver de nouveaux prétextes pour se parler. Nous étions deux inconnus.

Lien vers l’éditeur

/sites/default/files/styles/en_tete/public/2019-05/bandeau_AE01_la-revue_epsmal_0.png?itok=LDVuRfzv