Corinne Masiero, actrice - AE #06

Corinne Masiero, actrice née à Roubaix, interprète Louise Wimmer dans le film éponyme de Cyril Mennegun sorti dans les salles en début d’année. Louise Wimmer n’est pas vraiment seule : elle a un ex-mari riche, une fille qui fait des études et les potes du PMU. Louise Wimmer n’est pas vraiment « précaire » non plus : elle a un boulot comme 1/3 des personnes à la rue, un boulot de femme de ménage dans un petit hôtel. D’ailleurs Louise n’est pas vraiment SDF : elle vit dans sa voiture au démarreur capricieux. C’est ce « pas vraiment » qui la rend sans doute si désagréable. Clope au bec, seule le spectateur à l’œil alerte saisira un sourire sur ce visage. Pleins feux sur une tronche.

Louise Wimmer prend le contre-pied des fables cinématographiques (dont une ch’ti pour ne pas la citer) qui plongent le public dans l’émotion à peu de frais : vous y êtes une pauvre désagréable, mystérieuse, et mal épilée… Quelle est votre revendication à travers ce film ?

J’ai été gavée comme une saucisse pendant le tournage, tous les soirs je rentrais à l’hôtel, j’étais chouchoutée, couvée… Il y a une part de moi dans Louise Wimmer, mais c’est la direction d’acteur et le scénario de Cyril Mennegun qui ont fait le personnage : Louise Wimmer est une fiction, il n’y a que très peu d’improvisation. Je ne travaille pas comme à l’actor studio où on prétend « être son personnage ». Mais c’est vrai que je suis roubaisienne d’origine, et je défends mes racines. Et je n’ai pas oublié d’où je viens, que j’ai connu la merde, mais l’important c’est de passer le relais… le relais soleil ! Putain elle était bonne celle-là ! C’est avec le relais soleil, centre d’hébergement et de réadaptation sociale que je revendique quelque chose, le droit au logement pour tous. Avec le film, je joue.

Avec vous comme interprète dans Louise Wimmer, on comprend qu’il n’y a pas qu’une façon de faire la gueule mais dix mille !

C’est super dur de tendre la main, de voir les gens passer, être actifs, quand soi-même on a rien. Louise Wimmer choisit de rester dans le silence, on ne sait pas ce qui se passe dans sa tête et ça nous incite à regarder ce qu’il y a autour de nous. Certains lui reprochent sa fierté mal placée, son orgueil, mais moi j’y vois un signe de liberté. C’est le portrait d’une femme qui n’est pas un cliché de SDF. Souvent, on nous montre des SDF gentils, ouverts, généreux. Louise Wimmer n’est pas ouverte : elle lutte. Avec une tronche comme la mienne, le réalisateur ne voulait pas un personnage lisse c’est sûr, il dit souvent : « les culs de bébé ça n’accroche pas la lumière ». Il ne voulait pas que Louise soit sympathique.

Cette femme a la condition minimale pour exister. Ce qui étonne, c’est qu’elle résiste alors qu’à chaque séquence on se dit « ça y est, elle va péter les plombs », frapper son boss ou l’assistante sociale, se prostituer, se mettre à picoler…

La gueule c’est sa force : pour tenir, pas complètement péter les plombs. Elle pourrait basculer dans la déprime. Mais le visage illuminatif qu’elle a à la fin est là depuis le début, il attend. La gueule de Louise c’est sa folie. Avec sa tronche, Louise n’est pas un personnage normalisé, par rapport à ce que pense le tout venant d’un pauvre par exemple : elle ne tend pas la main, ne veut pas faire le beau soit disant pour profiter des aides. Elle est aussi très drôle : elle suscite l’amitié, elle a une vie sexuelle, elle se démerde. Sa voiture est aussi un personnage, un ami. Il y a une scène très belle où elle danse puis explose son auto-radio. Elle a un côté border line, mais ça redémarre toujours.

Louise Wimmer reste un film positif alors ?

Louise veut se reconstruire, elle ne perd jamais son autonomie.

Quel est votre fou exemplaire ?

Quant à "mon fou exemplaire", je dirais que c'est un autiste logorrhéique poly toxicomane de la vie.

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