Chemin clinique d’un authentique gardien de fous, Pierre Maciag
À travers le portrait de Pierre Maciag, c’est une histoire singulière qui se dessine : celle d’un témoin privilégié des évolutions du site de Lommelet et de la psychiatrie en général, sur plusieurs décennies. Son livre, paru cette année, revient sur sa découverte de l’asile dans les années 60, qui nous semble à nous lecteurs d’aujourd’hui d’une toute autre époque, tant les changements ont été importants sur les dernières années dans le domaine de la psychiatrie.
Entré en 1966 à la Maison de santé des frères Saint Jean de Dieu, après son service militaire, sans autre diplôme qu’un CAP mécanicien, il débute une carrière de gardien, en même temps que des cours infirmiers en psychiatrie (sur place, à moitié sur son temps de travail et à moitié sur son temps libre). A son arrivée, lors de sa prise de fonction, il découvre un univers psychiatrique totalement autarcique et apprend son métier sur le terrain, lors d’une kermesse dans l’enceinte de l’hôpital il se dira « à quelques exceptions près je ne pouvais distinguer qui était malade et qui ne l’était pas. Etrange ». Son livre raconte son expérience personnelle et professionnelle, à une époque et dans un établissement qui lui ont permis de gravir peu à peu les marches de l’échelle sociale, au mérite : de gardien à infirmier, puis de moniteur à cadre-enseignant, jusqu’à devenir Infirmier-Général, le Directeur des Soins d’aujourd’hui.
Les années 70 et 80 ont vu arriver les questions sur la prise en charge des malades et différents courants de pensées vont influencer le quotidien des soignants et des patients : « les malades commencent à être perçus comme des sujets et non plus comme des objets ». Au cours de ces 30 années passées à Lommelet, il assistera à de nombreuses évolutions : la psychiatrie se sectorise et sort des murs, la bi-sexualisation des patients et soignants se développe, l’asile devient établissement de santé mentale, les grèves se multiplient sur les incertitudes d’un secteur en pleine mutation… En 1996, il quitte Lommelet et intègre le CH de Seclin pour une durée de 3 ans, il se voit alors confier la mise en place de la démarche qualité que les « Ordonnances Juppé » imposaient. Et en 2007, il termine sa carrière au CH de Wattrelos, en tant que Directeur des Soins également.
Au cours de sa carrière, il assistera à 22 réformes hospitalières, nées des évolutions idéologiques, sociales, politiques, économiques, sociologiques, sexuelles, éthiques et philosophiques de la société. Le livre de Pierre Maciag, témoignage personnel de son parcours professionnel, se veut également être un engagement et un point de vue socio-économique et politique sur l’univers de la psychiatrie en particulier, et hospitalier en général. Aujourd’hui retraité, cet « enfant de la formation continue » comme il le dit lui-même, continue à participer à des formations et à témoigner pour « contribuer à l’enrichissement de l’histoire des infirmiers ».
Il est actuellement également le représentant des usagers auprès du Comité de Protection des Personnes (CPP), un comité de recherche actif sur la personne humaine.
QUELQUES EXTRAITS
- La sollicitude
… comment ne pas souligner la sollicitude des infirmiers capables d’écouter les plaintes d’un malade dépressif qui ne demandait que la mort ; leur patience aux cotés de ces patients délirants qui refusaient de se nourrir ; leur tendresse pour ces malades débiles qui ne cessait de rechercher les amitiés, leur constance lorsqu’un malade venait à longueur de temps demander des nouvelles de sa sécurité sociale, leur attention lorsqu’ils prenaient en soins ces malades à la fois délirants et atteints d’artérite du membre inférieur46 avec une gangrène qui nécessitera une amputation. Qui l’aurait fait ?
Nous étions les dépositaires de la demande publique désireuse de sécurité, et de l’ordre public des pouvoirs en place. Les contrôles étaient inexistants. L’extérieur ignorait ce monde tant « qu’ils » étaient gardés
- Emergence de l’antipsychiatrie
Après 1968 avec la CFDT, plus encore que la psychanalyse et Freud, la philosophie marxiste et gauchiste entrait à l’hôpital, la pensée syndicale s’articulait autour de la lutte de classe et de l’oppression du salariat par un système antisocial aliénant. Les revendications du syndicat reprenaient pour une part les pensées radicales émanant des milieux intellectuels réfutant la psychiatrie « officielle » et prônant les thèses dites de l’antipsychiatrie lancée par Jean Oury, Michel Foucault, Ronald Laing en Grande Bretagne, Franco Basaglia en Italie, d’autres encore comme Bruno Bettelheim à Chicago ou encore les travaux de Gregory Bateson et Paul Watzlawick sur la communication à Palo- Alto.
- CH Wattrelos : L’EHPAD « Le hameau du bel âge »
… Je ne pouvais m’empêcher d’effectuer un rapprochement avec le milieu psychiatrique que j’avais quitté. Le sentiment d’un enfermement et d’un gardiennage me revenait à l’esprit. A l’asile, les malades ne pouvaient échapper à leur destin de « fous » qu’en se conformant à l’organisation, comme si l’on n’y pouvait faire que le fou illustré pas ‘‘le brave soldat Schveik’’, les personnes âgées institutionnalisées semblaient s’identifier à l’image institutionnelle dès lors qu’elles franchissaient la porte de l’EHPAD. Hors quelques personnes suffisamment solides, les autres semblaient ne pouvoir faire que « le vieux » Essentiellement des femmes assises ou en fauteuil roulant elles montrent une attitude lasse, d’attente, d’abattement, regard vide ; comme l’exprime Jean Maisondieu : ‘‘Il arrive un stade où l’on préfère « la mort de l’esprit » plutôt que d’avoir en permanence « la mort à l’esprit », sans intérêt pour l’environnement au point que dans une salle, j’ai constaté que le poste de radio et le téléviseur déversaient leurs émissions même temps sans que personne ne s’en étonne. L’institution aliène, pas que les résidents.
Livre à 4,99€ en version numérique et 38€ imprimé