Rodéric Valembois - AE #20

Comment vous êtes vous décidé à ce projet, si intime ?
Ce projet, j’y réfléchis depuis dix ans et il m’a fallu trois ans de travail pour le réaliser. Je trouve que c’est une histoire forte et un sujet qui est souvent tabou. J’ai aussi voulu travailler les  relations familiales à travers cette histoire, c’est un sujet qui me tient particulièrement à cœur et à vrai dire auquel je ne comprends pas grand chose.
 
C’est votre regard d’enfant que vous mettez en scène ?
C’est comme cela que je voulais traiter la bd, mon témoignage d’enfant et ensuite de jeune adulte sur tout cela. Cette histoire m’a construit, je suis passé de l’enfance à l’âge adulte de cette manière. Le premier truc d’adulte que j’ai vécu et qui m’a sorti de l’enfance c’est l’alcoolisme de ma mère. J’ai longtemps renoncé à ce projet car je ne trouvais pas le bon angle d’attaque car je voulais raconter « la vérité », alors que ce que je devais faire était de raconter ma vérité.

Cette BD est-elle une catharsis ?
Non, j'ai fait le travail sur moi avant de faire cette bd. Durant tout le temps de la réalisation j'ai pensé au futur lecteur. Pour moi, même si c'est un témoignage, j'ai voulu raconter une histoire sans perdre de vue le lecteur. Je savais que c'était une histoire qui me touchait et j'essayais de prendre le maximum de recul afin de ne pas faire un truc qui ne parle qu'à moi.

Est-ce que cela vous a aidé à mieux comprendre votre mère ?
Un des éléments déclencheurs est la naissance de mon fils, je me suis rendu compte à ce moment que j’étais son père mais pas seulement, que j’étais aussi un mari, que j’avais des copains et que j’étais un auteur de bd. Ce qui m’a permis de comprendre que ma mère n’était pas que ma mère. J’ai vu toute cette histoire autrement, plus seulement que comme un fils qui reproche à sa mère d’avoir tout bousillé, j’ai compris qu’elle devait souffrir énormément. C’est parce que j’ai compris cela que j’ai pu faire la bd.

Le lecteur est toutefois frappé par le fait qu'il n'y ait pas de réel parti-pris : tout le monde est-il coupable dans l'alcoolisme ?
C'est une volonté de ma part de ne pas donner de leçon de morale ni de prendre parti, j'ai essayé de raconter tout ce qui pour moi a participé à l'alcoolisme de ma mère. Comme je le dis au dos de l'album en n'épargnant personne mais en ne m'acharnant pas non plus. Chacun à la lecture de la bd peut comprendre les choses à sa façon par rapport à son vécu. Dans l'alcoolisme, je pense à la fois que tout le monde est coupable et en même temps que personne ne l'est. Et pour ma part, je raconte l'histoire d'un échec donc je suis assez mal placé pour dire qui est coupable ou non.

Les traits de votre BD traduisent parfaitement les changements physiques de votre mère, et aussi de votre père, comment avez-vous travaillé ?
J’ai rapidement opté pour un dessin assez rond et plutôt enfantin, pour moi ça avait deux atouts. Le fait de coller au fait que c’était le témoignage d’un enfant et de ne pas rajouter une dureté dans le dessin à la dureté qu’il peut y avoir dans l’histoire. Ce genre de dessin permet aussi beaucoup plus de liberté graphique pour déformer les persos et suivre des évolutions physiques ou psychiques.

Vous en dites aussi pas mal sur notre région, les mines...
Comme je suis parti sur une bd témoignage, je l'ai ancré dans cette réalité géographique et historique, le fait que mes deux grands-pères étaient mineurs et en sont morts fait aussi partie de notre vie de famille et peut être des failles qui ont construit ma mère.

Des lecteurs souffrant d’alcoolisme vont sans doute lire votre BD, des psychiatres... qu’est-ce que vous en dites ?
Je pense que c’est bien car dans ma bd (bien que j’ai effacé les passages les plus violents et les plus durs) on peut voir comment l’alcoolisme frappe tous ceux qui y sont mêlés et quelle est l’inéluctable fin qui approche de manière plus ou moins lente. Cela peut peut-être aider certains à comprendre les autres, que ce soit la personne qui souffre d’alcoolisme ou la famille ou les proches.

Dans votre bd vous n’évoquez pas le recours à un psy pour aborder le problème ?
Nous n’avons fait appel à un psy que dans le cadre d’une cure de désintoxication de ma mère. Pourtant le recours à un psy peut se révéler fort bénéfique, d’ailleurs peut-être qu’à l’époque nous aurions dû avoir recours à cette aide. Je pense que l’alcoolisme est encore très tabou surtout chez les femmes, c’est une des raisons pour lesquelles j’ai fait cette bd et aussi pour raconter l’histoire derrière l’alcoolisme. Je pense que de manière générale, faire plus preuve d’empathie aiderait beaucoup de monde, notamment les personnes souffrant d’alcoolisme.

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