Patricia Parry - AE #08

Être psychiatre et écrivain, ce n’est pas si fréquent… Alter ego invite une « collègue », chef de pôle (et de secteur : elle y tient beaucoup) au Centre Hospitalier Gerard Marchant à Toulouse. Elle vient de recevoir le Prix du roman d’aventures pour « Sur un lit de fleurs blanches », paru aux éditions du Masque. Elle démonte ici les clichés, littéraires ou sur la psy.

Vous êtes écrivain et psychiatre, pas trop écartelée entre ces deux fonctions ?
Mon amour de la littérature précède celui de la psychiatrie et mon souhait d’adolescente était bien de devenir écrivain, et non médecin ! Je suis une vraie littéraire « contrariée » comme des générations d’élèves français soumis au diktat du bac scientifique. Ceci dit, il existe une proximité entre mon métier qui consiste à être à l’écoute et à l’observation des personnes et celui de l’écrivain qui essaie de traduire en mots émotions, sentiments, impressions.

Dans votre blog vous écrivez un article : « Les psy sont-ils marteau ? » qui évoque les représentations mentales stigmatisantes en psychiatrie. Pensez-vous que le polar reproduit les clichés sur la psy ?
Je le crains ! L’article dont vous parlez traduit bien mon exaspération devant les pseudo-théories, le salmigondis pseudo-psychanalytico-ce-que-vous-voudrez dont usent et abusent certains. Si j’osais écrire autant de bêtises sur le rugby, ou la finance, ou la fabrication du chocolat... que tout ce que je lis au sujet des schizophrènes « paranoïaques », je serais clouée au pilori par les lecteurs ! Mais au sujet de la psychiatrie, il semble que l’on puisse dire n’importe quoi ! Les clichés ont la vie tellement dure qu’un éditeur, lors de l’envoi de mon premier roman, m’a réellement écrit que ma description de l’HP n’était pas vraisemblable (parce qu’il n’y avait ni cachots, ni barreaux, ni électrochocs punitifs, probablement...). Il est de bon ton de dénoncer la psychiatrie évidemment coercitive. L’« interné » est forcément « innocent ». Le psychiatre, sans surprise, est sadique et incompétent ! (et en général, c’est lui le coupable car c’est un notable vénal). Au final, c’est toujours le patient qui est stigmatisé par ces discours prétendument bien pensants. En effet, soit il est « innocent » et ne devrait pas être là, soit il est « schizophrène paranoïaque » (ce qui, je le rappelle fait hurler de rire un interne de premier semestre) et donc dangereux (mais le psychiatre est tellement incompétent qu’il ne l’a pas diagnostiqué). Du coup, autant traiter ceci avec humour, c’est salvateur.

Pourquoi vous battez-vous aujourd’hui en psy ?
La déstigmatisation de nos patients, à condition de ne pas verser dans un angélisme délétère. Communiquer est capital, je pense qu’une émission télé à sensation peut nous faire reculer de dix ans !

Que pensez-vous de cet autre cliché, littéraire cette fois : le mythe de « l’artiste fou » ? Et inversement du « soin par l’art » ?
Question difficile. Il existe des artistes qui n’ont aucune pathologie mentale (la plupart d’entre eux à mon avis). J’ai d’ailleurs du mal avec la pose de certains « artistes » qui prétendent « être un peu schizophrènes », surtout lorsqu’ils en font un argument de vente (ce qui a l’avantage d’infirmer le diagnostic !). Il existe beaucoup de personnes malades qui n’ont aucun talent artistique... et les personnes atteintes de troubles mentaux peuvent aussi être douées de talent artistique... Il est capital de distinguer le talent de la possibilité ou de la capacité à peindre, écrire ou faire de la musique. À priori chacun d’entre nous est accessible à l’art. Et oui à l’art comme media, évidemment. L’art-thérapie est une forme de soin parmi d’autres, capitale pour certains patients. Je propose volontiers ce type de prise en charge. Mais je ne suis pas terroriste et n’impose pas l’atelier d’écriture à tous mes patients !

www.patriciaparry.com

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