Martin Provost, réalisateur - AE #10

À l’occasion de l’ouverture du CMP qui porte le nom de Séraphine Louis, nous revenons ici sur ce personnage interprété au cinéma par l’actrice Yolande Moreau. Interview du réalisateur de Séraphine, Martin Provost, qui a obtenu le César du meilleur film, et le César du meilleur scénario original à sa sortie en 2009. Martin Provost évoque ici le tournage de Séraphine, et sa continuité avec le film qu’il est en train de monter sur Violette Leduc, avec Emmanuelle Devos et Sandrine Kiberlain.

Pouvez-vous revenir sur le personnage de Séraphine ?

Mon film conte l’histoire de la peintre autodidacte Séraphine de Senlis, entre 1912, année de sa rencontre avec le collectionneur d’avant-garde Wilhelm Uhde, et 1932, date de son internement à l’asile psychiatrique. Cette relation est importante puisque sans Wilhem Udhe qui a découvert les primitifs modernes, les oeuvres de Séraphine auraient été perdues. Mais mon film n’est pas un biopic ni un documentaire sur Séraphine : j’ai inventé des personnages comme celui de Minouche par exemple, j’ai recentré le film sur la rencontre de Séraphine avec Udhe, je n’ai pas traité sa fin car elle est beaucoup plus douloureuse que dans le film, puisqu’elle est morte de faim pendant la guerre…

Plus que sur l’asile ou la psychiatrie, vous faites un film sur la création…

Je n’ai effectivement pas pensé à la psychiatrie quand j’ai fait ce film. L’asile que je peins - d’ailleurs seulement à la fin du film - est une réalité plutôt douce. Dans le contexte de l’époque, la norme pour les petites gens était de terminer sa vie soit à l’hospice soit à l’asile. Alors je me suis souvent demandé si Séraphine était vraiment folle. Certes, Séraphine voyait des anges et la sainte vierge. Quand on voit les toiles du début et de la fin, on voit un flamboiement, quelque chose qui brûle dans les toiles et qui peut ressembler à la folie : le tableau immense avec au centre un oeil, qui peut tout aussi bien être un sexe de femme est extraordinaire… Séraphine, qui était un esprit simple, était sans doute un peu dépassée par cette transcendance d’autant qu’elle n’avait pas l’entourage affectif ni la force mentale pour l’accepter. Mais j’ai voulu montrer qu’il était possible de s’en sortir par le besoin de transmission et de création, par l’art. La création permet de dépasser une condition sociale et une condition mentale. Séraphine réunissait ces deux facteurs : femme de ménage et mentalement éprouvée (elle perd ses parents lorsqu’elle a 8-9 ans, et est placée comme domestique), le sens du film est qu’elle s’en est sortie, qu’elle a laissé quelque chose.

Une suite à Séraphine ?

Séraphine est comme le début d’un triptyque (je ne sais pas encore qui sera le troisième personnage !). Quand j’écrivais le scénario de Séraphine, mon éditeur, au Seuil, René de Ceccatti, m’a fait découvrir un texte splendide de Violette Leduc : Trésors à prendre. Elle avait aussi écrit un très beau texte sur Séraphine que Simone de Beauvoir a refusé pour les Temps Modernes. J’ai eu envie de faire un film sur elle ; elle a beaucoup de points communs avec Séraphine notamment dans le rapport à la nature, ou dans sa relation avec une sorte de « mécène ». Et puis Violette Leduc est la première à parler de la sexualité des femmes, de l’avortement, elle aussi a été internée… une histoire forte qui s’est très bien terminée.

Votre lien avec Yolande Moreau est très fort, quelles actrices avez-vous choisies cette fois ?

Quand je cherchais une actrice pour Séraphine, j’ai croisé par hasard Yolande Moreau… c’est une actrice métaphysique, avec des yeux extraordinaires, un regard d’aigle… Elle porte quelque chose en elle qui est relié à l’inspiration, à « quelque chose qui vient d’en haut » comme disait Séraphine ; « Je ne suis pas une intellectuelle, j’écris avec mes sens » disait Violette. J’ai choisi Emmanuelle Devos qui a ça aussi, pour interpréter Violette Leduc...

/sites/default/files/styles/en_tete/public/2018-09/bandeau_AE10_cpaa_epsmal.png?itok=gwvVRcyF