Ian Williams - AE #21

Ian Williams est médecin et auteur de bandes dessinées. Il vit maintenant à Brighton et a fondé le site GraphicMedicine.org, inventant un terme pour désigner l'interaction entre le milieu de la bande dessinée et le discours des soins de santé. Il évoque pour Alter Ego son ouvrage "Le Blues du Medecin" (The Bad doctor)

 

- Pourquoi vous êtes-vous lancé dans l’écriture de cette BD ?

Beaucoup de raisons m’y ont poussé. Je faisais des bandes dessinées sur mon métier de médecin, en explorant des points qui sont rarement abordés : les erreurs, le mauvais comportement, les motivations peu recommandables, le coût psychologique d'être un médecin… Mon éditeur, les Editions Myriad, m'a offert un contrat pour faire un vrai roman graphique. Je voulais utiliser mon expérience de travail en tant que médecin souffrant d’un trouble obsessionnel compulsif. Le livre n’est pas directement autobiographique, mais il utilise certaines de mes expériences. Je l'ai écrit comme une fiction pour qu’elle soit plus intéressante que ma propre histoire ! J’avais aussi écrit des articles universitaires et une thèse sur les récits de la maladie dans les romans graphiques, donc je suppose que je voulais en créer un !

- Pensez-vous que ce soit difficile pour un médecin de dire qu’il n’est pas un surhomme, qu’il a aussi des doutes ?

Personnellement, je ne trouve pas cela difficile, même si je suis sûr que ça l’est pour de nombreux médecins. Une partie du pouvoir des médecins vient de cette forme d'autorité sapientielle - ils sont perçus par leurs patients comme étant hautement qualifiés, sages, et compétents. Admettre une forme de faiblesse réduit ce pouvoir. Je pense que la question d’afficher ou pas ses doutes dépend bien sûr du contexte - si vous êtes sur le point de subir une opération du cœur, vous ne voudriez pas que le chirurgien vous dise qu'il a des doutes sur ses capacités ! Mais, en dehors du travail, un médecin admettant qu’il peut douter de lui-même comme tout le monde est à mon sens très humain.

 

Je veux juste rappeler ici que je ne suis pas Iwan, je n’ai jamais été paralysé par le doute, même si j’ai un goût pour l’introspection et l'autocritique. Iwan est un personnage fictif dont l’état d'esprit résulte de TOC, qui est une maladie très handicapante… J'ai eu ce genre de troubles quand j’étais plus jeune, mais je suis parvenu à travailler de mon mieux avec ça. Dans ma BD, je voulais montrer les problèmes qu’un TOC peut provoquer, la façon dont il aggrave radicalement le doute, ce qui est à mon sens l’une des clefs de compréhension du TOC. Les personnes atteintes de TOC peuvent douter de tout, et tout le temps!

 

- Pourquoi ne pas avoir choisi la psychiatrie comme discipline ?

La psychiatrie est une discipline très intéressante, mais ce n’est pas parce que j’avais moi-même des problèmes psychologiques que je voulais faire face à des problèmes psychologiques tout le temps ! Je pense que l'expérience d'une certaine maladie donne un aperçu et donc une forme d’empathie envers ceux qui en souffrent, mais ça ne déclenche pas forcément une vocation. Il y a beaucoup d’autres choses dans la vie que je préférerais faire que de penser aux TOC : dessiner, écrire, skier, nager, boire un verre ! Mais il faut aussi gagner sa vie, et j’ai choisi pour cela la médecine générale qui offre un beau mélange de travaux intéressants. Et puis, la psychiatrie au Royaume-Uni est généralement sous-financée, les psychiatres ont d'énormes charges de travail, c’est très difficile pour eux, sans grande marge de manœuvre.

- Dans de nombreux passages de votre BD,  votre personnage « décompresse » : quels conseils donneriez-vous au jeune médecin ?

De souvent décompresser !!! Je pense qu'il est important de « couper ». Les médecins sont témoins de nombreuses détresses, ou d’événements traumatisants, on leur confie beaucoup d'informations pénibles. Ils sont censés porter ce poids dans le cadre de leur travail, mais cela peut vite les mettre à plat s’ils ne sont pas un peu prudents. Les psychiatres, les psychothérapeutes et les conseillers bénéficient d’une « supervision » au cours de laquelle ils déversent une partie de leur fardeau, évoquent les difficultés ou les cas de refoulement. Les autres médecins n’ont pas une telle occasion formelle c’est pourquoi ils doivent trouver d'autres façons de décompresser : parler avec des collègues, en groupes de mentorat. C’est également important de « couper » lorsque nous ne sommes pas au travail, et de savoir libérer son esprit.

- Quels sont vos projets actuels ?

Je travaille sur une suite à « The Bad Doctor » : « The Lady Doctor ». Encore une fois, le titre est ironique. Le centre de l'histoire sera sur Dr Lois Pritchard, une collègue d’Iwan, qu’il aime. J’écris aussi une bande dessinée hebdomadaire dans le journal The Guardian : Notes malades. Dans ce document, je regarde l'état actuel de notre service national de santé, qui est en crise.

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