Gilles Clément, paysagiste et écrivain - AE #18

Gilles Clément est un Jardinier, paysagiste, botaniste, entomologue et écrivain français, il conçoit des parcs et des jardins, comme par exemple le Parc Matisse à Lille ou encore les jardins d’hospitalité de l’hôpital Salvator à Marseille, élaborés avec le Professeur Marcel Rufo. Il est l’inventeur de plusieurs concepts qui ont marqué les acteurs du paysage tels que « le jardin planétaire », « le tiers-paysage » et « le jardin en mouvement ». Ces concepts découlent de l’observation qu’un paysage n’est jamais figé, un peu comme un paysage mental… C’est ce qu’il nous raconte dans cette interview spécialement réalisée pour Alter ego.
 

Jardiner rend-il heureux ?
Je suis certain des bienfaits thérapeutiques du jardin. Mais le jardin règle un grand nombre de problèmes de façon tellement bizarre, obscure, qu’il est très difficile de dire exactement ce qu’il faut faire ! Je peux juste affirmer que le fait de jardiner apaise, comme celui d’être dans un jardin, sans rien faire. Cela apaise, car le jardin est un territoire mental d’espérance. Lorsque quelqu’un met une graine dans le sol, c’est pour demain. Ce geste n’est pas tiré vers la nostalgie, l’humain qui l’accomplit n’est pas dans l’esprit de conservation à tout prix. Je suis absolument convaincu que jardiner rend heureux. Pas seulement les gens qui auraient besoin d’une consolation, mais tout le monde.

Le jardin est aussi un lieu de brassage végétal et humain… qui, d’une certaine façon, soigne.
J’ai conceptualisé ce brassage par la notion de jardin en mouvement : le jardin évolue et historiquement il est le rassemblement de plantes qui viennent de partout ailleurs.
Il est très rare de n’exploiter que des plantes indigènes dans un jardin, surtout quand il s’agit des jardins ouvriers, comme vous en avez encore beaucoup dans le Nord de la France. Beaucoup d’espèces viennent de loin : les tomates et les pommes de terre qu’on a partout viennent d’ailleurs ! C’est pareil avec les humains, par exemple dans les jardins partagés : ils viennent de partout. Les premiers jardins partagés sont nés à Lausanne (les plantages), ou encore à New York, et le premier a été ouvert à Paris il y a douze ans. Aujourd’hui la capitale en compte cent. Ce n’est pas un hasard, le jardin partagé répond à une nécessité profondément humaine, c’est une thérapie inconsciente. Les gens viennent dans ces jardins parce qu’ils sont des lieux de convivialité, joyeux, parce qu’on y transmet des savoirs, qu’on découvre la puissance
de la nature, qu’on travaille avec… Ce serait maladroit de dire que les gens viennent là pour se soigner, mais je suis sûr qu’ils s’y soignent !

Que pensez-vous de toutes ces « jardins » dans nos villes, interstices urbaines autrefois abandonnées (périphériques, friches etc.) qu’on barricade pour empêcher un habitat nomade ?
C’est un schéma culturel terrible, tragique, qui se renforce aujourd’hui à cause d’une stratégie de la peur, d’une détestation du nomadisme, d’un racisme, de sentiments ancestraux qui prennent des proportions tragiques. Je suis président de l’association PEROU, un collectif qui a repris l’histoire des enfants du Canal avec l’association Abbé Pierre, et qui travaille sur la réinsertion de personnes délaissées installées dans des espaces abandonnés – dont personne ne fait absolument rien. Il n’y a pas de principe d’interdiction dans ma vision, sur l’utilisation de ces espaces. Il y aurait plutôt une assistance pédagogique à faire sur comment les habiter sans les abimer, sans polluer. C’est l’un des outils que nous essayons de développer mais c’est très difficile. Pourtant j’ai constaté qu’une petite pédagogie sur les écosystèmes intéresse ces habitants : un jour, je leur ai parlé de la roquette qui poussait dans ces milieux, comment la déguster… ou encore j’ai rencontré un jour un comorien mutique qui s’est remis à parler lorsque j’ai parlé des plantes…

Vous évoquez le génie naturel, qui vous rappelle le concept de résilience de Boris Cyrulnik, parfois repris en psychiatrie ?
La résilience est un concept qui résume assez bien ce que je crois du monde végétal et que j’appelle plus souvent le génie naturel : le monde végétal a mis au point des stratégies très puissantes - qu’on connait mal - pour survivre. L’homme aussi se transforme, tout au long de sa vie : on naît avec un certain patrimoine certes, mais il se modifie au cours du temps. Je crois beaucoup à l’importance de l’environnement et de l’éducation pendant toute la vie de l’être. Nous pouvons devenir différents de
ce que nous étions au départ : oui ! Oui sûrement. Après assurer sa résilience derrière… je l’espère. Mais se transformer oui.

www.gillesclement.com

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