Frédéric Worms - AE #12

Frédéric Worms est un philosophe français, auteur de l’ouvrage « Le moment du soin : à quoi tenons-nous ? » ou dernièrement de « Revivre » dans lequel il évoque notamment la notion de « résilience » qui fait écho à des thématiques de santé mentale. Il est aussi directeur du Centre international d’étude de la philosophie française contemporaine (CIEPFC) à l’ENS (Paris) et vient d’être nommé au Comité consultatif national d’éthique (CCNE).

Que vous évoque la psychiatrie ?
La psychiatrie est un soin spécifique, avec sa dimension spécifique, mais il n’y a pas une coupure entre le soin psychiatrique et les autres. Il y a une dimension psychique dans tous les soins, et le soin psychique ou psychiatrique porte aussi sur les autres dimensions : physiques, neurologiques, biologiques, sociales… Il y a une spécificité de la psychiatrie mais qui n’est pas une différence de nature.

Dans votre ouvrage « Revivre », accessible et passionnant pour un public non spécialiste de philosophie, vos thématiques font résonance à la santé mentale avec les très belles notions de « cerveaux-visages », de « résilience », de « plasticité »…
Dans l’idée du « revivre », il y a certes une dimension psychique, même psychanalytique, mais il y a aussi tout le reste : il faut prendre soin de l’ensemble, et donc pour revivre il faut aussi prendre soin du corps, des aspects sociaux etc. Je développe la notion de « cerveaux-visages », pour définir ce lien entre le vivant et le relationnel en nous, qui ne s’opposent pas comme un organe anonyme et une pure apparence individuelle, mais qui sont à la fois corporels et individuels. Pour le dire très rapidement, le fait que nous ayons un dedans et un dehors fait notre plasticité… notre capacité à nous renouveler aussi. Quand j’évoque la « résilience », c’est pour parler de ce renouveau, qui passe par une mise en relation… qui peut être celle du soignant, du proche, des « autres »… la résilience est l’expression  libre de ce que l’on fait après une épreuve et son écoute par un public, sa mise en relation…

Vous citez d’ailleurs souvent Winnicott...
Winnicott est de ceux qui permettent de penser toutes les dimensions du soin, au travers de problématiques qui touchent à l’éthique. Or l’éthique doit prendre en considération le psychique et la pensée de Winnicott permet de replacer ses questions dans leur contexte psycho-pathologique, notamment dans l’enfance. Par  exemple pour moi, la folie se rencontre à l’extrémité de tous les « affects humains ». C’est pour cela qu’on peut parler d’amour fou et de délire de haine. J’ai eu personnellement affaire à un cas de harcèlement, c’est très violent mais cela fait partie des relations humaines. J’inclus aussi l’amour fou, le bonheur fou et une certaine folie primaire, comme le dit Winnicott, celle de « la mère pour son enfant, des amants… il y a une dimension possible, à l’extrême, de « folie » dans toutes les affections.

Votre implication dans le « monde contemporain » se manifeste dans votre nomination tout récente au CCNE ?
Je pense que c’est pour mon travail sur le soin dans tous ces aspects que j’ai dû être retenu, et j’y vois le signe d’un intérêt pour le soin dans toute sa complexité, ce qui ne veut pas dire qu’il y a des solutions magiques aux problèmes. Moi j’ai plutôt une position qui consiste à comprendre les problèmes dans leur complexité avant de prétendre les résoudre ! Je dis par exemple qu’il faut prendre soin du corps mais aussi du psychisme et de la liberté. Il est donc normal qu’il y ait des contradictions dans le soin. Il est normal que les situations critiques soient critiques.

Et l’éthique dans la santé en particulier ?
L’éthique n’est pas juste la confrontation d’une médecine corporelle à une morale abstraite, la dimension psychique est centrale. Il faut analyser et comprendre. Et appliquer une vision élargie du soin, sans le réduire aux techniques médicales même si elles en font partie. Il faut un peu de philosophie en somme… La philosophie ce n’est jamais mauvais ! La philosophie c’est même très bon pour la santé ! Et pas seulement la santé des concepts…

 

Frédéric Worms interviendra dans la journée thématique de l’espace éthique lillois, « Soins - Parcours - Temporalités » consacré à la thématique : « Temps et soins : un temps pour tous, des temps pour chacun ? »
19 novembre 2013 (Amphis A et C de l’Institut Gernez Rieux - C.H.R.U de Lille).
Inscriptions sur :
contact.eehu(at)chru-lille.fr
ou auprès de Julie Van Heddegem
T : 03 20 62 34 42
M : julie.vanheddegem(at)chru-lille.fr

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