Cléa Coudsi et Eric Herbin - AE #24

Après être tous deux passés par les Beaux-arts, Cléa Coudsi et Eric Herbin se sont rencontrés à l'Ecole supérieure d'art de Dunkerque en 2000 et retrouvés au Fresnoy en 2006. Depuis, ils mènent un travail de plasticiens axé sur la récolte de ce qui ne se conserve pas pour tenter de mémoriser les énoncés fugitifs, la communication futile ordinaire. Si leur dernière grosse exposition a eu lieu dans le cadre de Mons 2015 Capitale européenne de la culture, les deux artistes se laissent aussi du temps pour des projets plus confidentiels. C’est dans cet esprit qu’ils ont mené un travail avec des personnes souffrant de handicap, à Vendin le Vieil (aidé par le programme Culture-Santé de l’ARS et de la DRAC) ou encore dans des foyers spécialisés en psychiatrie. Rencontre avec des passionnés d’humanité.

AE : Pouvez-vous nous raconter votre travail avec les résidents du Centre de soins Antoine de Saint Exupèry à Vendin le Viel ?
Cléa : Nous arrivons avec une idée, et tout change ! Le principe primordial est que les résidents ne soient pas considérés comme des petites mains mais qu’ils puissent vraiment participer. A Vendin, c’est un public en situation de polyhandicap ou présentant une psychose déficitaire, la plupart du temps en fauteuil ou alité, avec des capacités extrêmement limitées. Notre projet s’appelait « Veilleuses * » : nous avions pensé nos interventions "comme des veillées", où l’on y enregistrerait les voix des soignants, des voix familières aux jeunes patients…. Et puis tout a bougé…

AE : C’était la première fois que vous interveniez auprès de ce type de public ?
Eric : Il faut avouer que ce n’est pas simple. Au début on a un rejet du handicap, c’est très violent. J’ai habité des années à côté de ce centre et je n’en avais pas connaissance. Quand je suis rentré, ça a été un vrai choc. On devrait davantage parler et montrer ces pathologies. Le paradoxe c’est que pour les protéger (droits à l’image etc.) on les « cache » mais du coup, on n’en parle jamais.
Cléa : Dans ces institutions, tout est très cadré. Comme en foyer psy, c’est fou, ces gens hors du cadre, à quel point on les cadre… On leur impose une structure ultra rigide alors que ces humains sont… vaporeux. Par exemple, les personnes souffrant de troubles psychiques ont presque une démarche physique rien qu’à eux… unique. Pour nous c’est une matière passionnante. Et le montrer aux soignants a changé aussi leur regard sur les patients. Je dois dire que dans ces institutions, en particulier à Vendin, les soignants sont de vrais vecteurs d'humanité...

AE : Comment se passent les ateliers ?
Cléa : L’idée n’est pas de rassurer les gens en leur proposant de faire ce qu’il ferait à l’école, de les mettre dans des rails. Il y a certes un intérêt psychomoteur, thérapeutique, mais nous on est dans la création, et je suis convaincue que l’art est avant tout un apprentissage de la liberté. Tout à coup, le chaos l’emporte  sur une forme prédéfinie, stéréotypée et crée des moments uniques, différents de tout ce qu’on peut vivre (le chaos ne l'emporte pas au final mais pendant la création on est au bord, il y a une sorte de vertige).

AE : Vous pensez-vous les artistes ont leur place dans ces institutions ?
Les artistes ont leur place partout.

AE : Ces interventions en psy ont changé quelque chose dans votre parcours d’artistes ?
Cléa : nous avons découvert d’autres pistes de travail. Nous travaillons beaucoup avec la parole comme document, mais avec ces personnes, ce n’est pas le sens qui l’emportait, mais la voix, le souffle… c’était comme si on écoutait une langue étrangère… C’était davantage de l’ordre du sensible, de la musique, que du récit qui raconte quelque chose. Là les bruits se racontent eux-mêmes.
Eric : À force de regarder ces personnes, on a fini par voir nous aussi des évolutions… quelque chose s’est vraiment passé.
Cléa : Je n’ai aucune imagination. Je ne projette rien avant d’y être. J’ai du mal avec la pensée abstraite, j’ai besoin de concret. Et à chaque fois, c’est un choc. Petit à petit, les préjugés sont tombés, j’ai vu la matière vivante. Nous, on se laisse toucher. L’émotion vient du mot « mouvement »… c’est l’émotion qui nous met en mouvement. Le tremblement de l'écriture de Marie-Pierre , le rythme psalmodié de la voix de Cécilia, les chants acapella de Franck...  tous rencontrés dans des institutions psychiatriques, nous ont touché et ouverts de nouveaux  chemins...

Les productions sont visibles sur le site de Cléa Coudis et Eric Herbin : cleacoudsi-ericherbin.com

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