Adda Abdelli et Fabrice Chanut - AE #25


 


Alors qu’ils sont déjà en train d’écrire la septième saison de la série Vestiaires, les scénaristes et comédiens Adda Abdelli (Romy) et Fabrice Chanut (Ludo) ont accepté de répondre aux questions de notre magazine Alter ego « parce que nous, l’ego, ça nous connaît ! »

Racontez-nous un peu l’histoire de cette success story ?
Fabrice : C’est venu d’une envie d’écrire ensemble, de faire des projets audiovisuels… on recherchait des sujets et on s’était rencontré il y a très très longtemps…
Adda : Après la mort de Pompidou !
Fabrice : Dans un club de natation handisport à Marseille… et on cherchait, on cherchait, et on s’est aperçu que ce qui nous faisait vraiment marrer c’était la vie de notre club en tant que sportifs handicapés, d’écouter nos collègues avec des anecdotes improbables sur leur vie au quotidien, et par le prisme du handicap. Il y a des choses très drôles à aborder et une vision décalée du monde. Donc on s’est mis à écrire des petites séries de deux-trois minutes. On a rencontré alors notre producteur qui nous a dit : « on va voir ce qu’on peut faire, c’est totalement barré, ça parle du handicap et ça dure 2'’0 c’est totalement mort comme projet, mais on va le faire. » Qu’il nous ait dit à l’époque que ça l’avait fait marrer, que c’était une belle écriture, à ce moment là de notre vie d’auteurs, ça nous suffisait. Mais tout ce qui s’est passé après, ça a été Noël en permanence !
Adda : De la chantilly sur tous nos gâteaux !
Fabrice : quelques mois plus tard les producteurs nous ont dit qu’ils avaient rencontré quelqu’un à France 2, qui s’occupait de tout ce qui était sujet sur la discrimination et les minorités, c’était Corinne Fontaine, qui a accroché sur le sujet et à partir de là ça s’est enchaîné : écriture, tournage du pilote, saison 1, saison 2, changement de vie ! On aimerait dire que ça a été compliqué mais pas du tout.

AE : ça veut donc dire que c’est possible !
Adda :ça marche pas pour les valides par contre.

AE : Ce qui est révolutionnaire dans la série, c’est l’humour sur le handicap, le détournement, et parfois même une certaine méchanceté.
Fabrice : Tu as tout à fait raison ! Nous abordions les choses comme ça : soit tu mets des super héros qui vont faire des trucs extraordinaires, soit, et nous on arrivait comme ça, tu dis que tes héros sont des gens du quotidien, normal quoi, avec leurs problèmes, leurs ambitions, leur grotesque, leurs egos et en plus ils voient tout ça avec dérision. A mon avis c’est ça qui a plu. L’idée c’était que la légèreté n’enlève pas la gravité.
Adda : Quand on a construit nos personnages, on s’est fortement inspiré de tous nos amis proches mais on s’est attaché à leur donner des contradictions comme tout bon scénariste. Les personnages n’étaient pas simplement faits de leur handicap c’est-à-dire qu’ils pouvaient être à la fois poliomyélite, sage et de mauvaise foi ! Ou alors avoir des petits bras, mais être susceptible et jaloux ou alors être totalement magnifique mais n’avoir aucune mémoire… Le handicap n’est qu’une caractéristique des personnalités, une composante.

AE : il y a eu des critiques de la part de personnes qui souffrent d’un handicap ?
Fabrice : Il y a eu des personnes qui étaient insensibles à cet humour là, au fait qu’on parle de ça, et puis aussi des handicapés qui ne supportent pas qu’on soit moqueur ou qu’on touche à ce qu’ils considèrent comme sacré chez eux à savoir leur handicap. Mais ça a été minime, il n’y a pas un tollé…

AE : Le handicap c’est sérieux, on ne doit pas en rire
Fabrice : et la mort c’est pareil. C’est souvent des parents d’handicapés qui ne sont pas contents.

AE : est-ce qu’on peut parler du personnage de Caro, cette femme superbe qui souffre de troubles de la mémoire, qui représente la personne qui souffre d’un handicap psychique…
Fabrice : on s’est inspiré d’une personne qui a souffert de ce trouble. En 2009 nous avons fait un casting et on s’est rendu compte qu’il était très difficile de trouver des comédiens handicapés, le casting était donc ouvert à tout le monde. Caro nous a offert une prestation extra, on s’est dit que c’était notre personnage. Après, c’est difficile de montrer à la télé un handicap invisible ! Cela fait six saisons qu’on développe ce personnage, et on a toujours été confronté à devoir expliquer son handicap. Donc ça fait six saisons qu’on explique. Parce que son handicap ne se voit pas. Alors c’est par son comportement que le spectateur va comprendre ce qu’elle a. C’est ce qu’il faudrait qu’on arrive à faire avec les autres malades psychiques. Mais notre sujet principal c’est le handisport.

AE : la télé ?
La télé devrait favoriser cette diversité mais elle ne le fait pas. On s’est aperçu que Vestiaires était quasiment une première mondiale. Il n’y a que l’humour qui peut amener des choses comme ça.
Adda : si je peux me permettre une remarque de metteur en scène… le truc c’est que la télé est un média de l’illusion. Ce que les gens veulent voir c’est des histoires. Après il y a moins de personnes qui sont intéressées par ce qu’il y a derrière… il y a peu de gens qui sont intéressés de savoir que le personnage de Caro par exemple n’est pas réellement handicapé. Ce qu’elles veulent voir c’est un personnage qui va rentrer dans une histoire, avec des rebondissements et cetera. Déjà parler de handicap c’est compliqué, mais en plus parler du handicap avec des handicapés c’est encore plus dur et nous, on a cette particularité là…

AE : Est-ce que votre série donne de l’espoir ?
Fabrice : Le vivre ensemble est possible. Et au-delà de ça, ça ouvre également le champ des possibles aux personnes handicapées. Cette série est une clef qui enlève la gêne ou la peur qu’on peut avoir vis-à-vis du handicap. Et la clef, c’est que c’est l’humour qui nous unit tous…

AE : c’est un peu trash parfois ?
Adda : Oui alors on se pose des questions sur ça mais on ne se censure jamais, sauf quand c’est pas drôle ! Et c’est pour ça qu’on adore le producteur de la chaîne c’est qu’il nous suit là-dessus.
Fabrice : Mais ce qu’on ne veut pas c’est être méchant, ou faire un truc gratuit. On peut rire avec le handicap et pas rire du handicap. Il faut regarder cet épisode où on joue à barbichette avec Philippe Croizon.
Adda :avec des personnes valides ça n’aurait pas marché ça aurait été moins drôle. Je crois que les gens ne sont pas encore prêts, parce qu’on est quand même dans une société compliquée aujourd’hui : pour se moquer des juifs, faut être juif, pour se moquer des noirs, faut être noirs, pour se moquer des arabes, faut être arabe… Desproges et compagnie c’est terminé. Notre XXIème siècle n’a pas beaucoup d’humour mais nous on essaie de rapprocher les mondes.
Adda : On est souvent invité par les soignants à parler de handicap différemment. On va dans des colloques de médecins, de psys, d’infirmières… J’étais dernièrement à un colloque sur la bientraitance avec des soignants et les 300 personnes ont fait une standing ovation à la série. Il y a des moments où on peut parler sérieusement du handicap mais à travers un media différent qui est l’humour.
Fabrice : Mes premiers émois érotiques c’était avec des infirmières. Pour être plus sérieux, nous on fait beaucoup de séjours en hôpital et si cette série elle peut permettre aux gens handicapés de tenter de faire des choses, de se lancer dans des projets. Moi j’ai toujours rêvé de cinéma et me retrouver aujourd’hui avec une série qui passe sur France 2, me retrouver à diriger Pascal Légitimus, Clémentine Célarié, ou regarder Patrice Leconte tourner des épisodes que t’as écrits, tu te dis, « c’est vraiment le truc à l’américaine, si tu y crois, tu rêves, tu t’accroches, ça marche »
Adda : Rien n’est figé. Rien n’est figé et le prochain combat c’est ce que vous faites vous, parce que vraiment aborder un autre handicap, le handicap psychique, c’est le futur : défendre ces gens là, les mettre en avant, c’est un vrai défi.
Fabrice : J’ai une théorie très simple : on est dans une culture, dans l’absolu mais surtout en France, de l’ennui, de la routine, de la façon de voir uniforme. Nous on s’attache à avoir une vision décalée du monde et c’est comme ça que nous pouvons respirer dans notre univers… tu peux pas nous parler sérieusement parce que nous on va y voir un truc décalé, on veut s’échapper. Et par rapport au handicap psychique il faut réussir à montrer qu’il propose une autre vision du monde… et c’est pour ça que c’est compliqué pour les gens d’adhérer parce que c’est se remettre en question soi. Moi ça m’est arrivé d’enseigner la natation à un gamin autiste, et quand tu te retrouves le mercredi 8 à devoir refaire la leçon du mercredi 1 parce qu’il a tout oublié, c’est pas lui que ça remet en question, c’est toi. C’est en ce sens là que ça peut être gênant pour les gens parce que ça les oblige à accepter qu’un autre puisse voir la vie totalement différemment. Tu peux avoir des trous de mémoire, tu peux buter sur la même chose pendant 24h, tu peux aussi être totalement improductif, servir à rien, être plus lent, décalé, ça n’empêche pas que c’est une autre façon de voir la vie.
Adda : Tout le monde sait qu’un schizophrène c’est un tueur en série !!
Fabrice :Et quand tu parles aux gens pour 90% d’entre eux le handicap c’est être en fauteuil roulant. C’est pas un mec qui a des petits bras, qui a une prothèse de hanche, qui est sourd…
Adda : Tu me renvoies et c’est vachement intéressant, au personnage de Caro. Cela fait six saisons qu’on le développe, et on a toujours été confronté au début à devoir expliquer son handicap parce que sinon ça marche pas. Donc ça fait six saisons qu’on explique. Parce que son handicap ne se voit pas. Alors c’est par son comportement que le spectateur va comprendre ce qu’elle a. C’est ce qu’il faut qu’on arrive à faire avec les autres malades psychiques.

AE : c’est plus complexe, le personnage se construit dans la durée.
Fabrice :c’est l’histoire qui porte le personnage ; si on veut lui rajouter un truc mais qu’on n’a pas l’histoire ça ne marchera pas.

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